mardi 19 mai 2009

- Allez, c'est parti, la question qui tue : de quoi tu as envie vraiment ?
En face. De toi à moi. Sans ambages.
- oui, oui, je sais où tu veux en venir. Je connais tes discours ; je connais tes manipulations.
- T'aurais voulu être un artiste ? Voir ton nom en plus grand que n'importe qui ? T'aurais voulu être une star peut-être ? Gagner de l'argent. Qu'on te reconnaisse dans la rue ? Non, laisse-moi deviner, tu voulais faire du cinéma, juste ça, faire du cinéma, faire l'acteur...Avoir une carrière d'acteur. Une jolie carrière avec plein de beaux rôles dedans et t'aurais pu les regarder et tu te serais dit, comme ça silencieusement, dans ton modeste moi intérieur : ça c'est moi qui l'ai fait ! C'est ça ? Vincent Cassel, est-ce que ça te va, avec Monica en prime ? Ou Romain Duris ? Dis. Vas-y ! Choisis. Et en plus, dans ce joli monde du cinéma, tu aurais même pu te payer le luxe d'être simple et gentil, elle est pas belle la vie ?
- Un jour, tu me dis : il faut se battre, il faut vouloir mieux. Si je n'ai pas atteint l'objectif, c'est que j'ai eu peur de le regarder en face, j'ai fait semblant de vouloir l'atteindre. Donc, à partir de maintenant, je visualise vraiment un objectif si je veux l'atteindre. Je ne me mens pas.
Un autre jour, tu me sers que, en fait, non, mais pas du tout, beaucoup plus simple, en fait je n'avais pas vraiment envie de tout ça, en fait, j'aspire à une vie simple, donc, j'ai précisément ce que je voulais, alleluia !
- C'est toi qui vois.
- C'est tout vu, tu es plein de sollicitude et de bonne volonté je vois bien, mais tout ça, c'est mouvant. Il y a sans doute un peu de vrai dans tout ce que tu dis. Mais la vérité est glissante, elle ne se laisse pas aussi facilement attraper.
- de quoi tu as envie ?
- je ne sais pas très bien. Je sais que je n'ai pas très envie de me battre comme je le fais depuis tant d'années. Etre sur le front, sur les barricades. Gueuler plus fort que les autres. Pour une grande cause. La mienne. Au péril de ma vie, mais quand la cause est juste, sacrifier sa vie, c'est beau... C'est surtout stupide.
- je ne te le fais pas dire.
- je suis fatigué. Je ne suis même pas sûr d'avoir envie de tenir une vérité rassurante dans mes mains, un truc tout beau, bien construit, grâce auquel je pourrais me dire : ah c'était donc ça, ce n'est pas de ma faute alors ?
- délivrez-moi de la responsabilité ! De la culpabilité aussi peut-être...
- Ouais, toujours ce spectre de l'échec. Le truc appris socialement. Et puis se comparer, voir les autres, les "ceux qui ont réussi" avec leur agenda surgchargé et qui ne savent pas très bien comment choisir entre deux projets passionnants. L'abondance. Et le passeport social qui est censé faire mieux dormir (censé, parce que le plus souvent, c'est con, mais ça marche même pas).
- tu es jaloux ?
- Ouais, c'est bien possible. C'est moche, mais je crois bien que ça me fait des pincements pas beaux à l'intérieur, des "pourquoi pas moi ?".
- mais toi, toi, ce que tu fais, ce que tu aimes, ce que tu construis, ce que tu imagines, est-ce que tu lui accordes une valeur ? Indépendemment de toute reconnaissance.
- Oui.
- Alors, c'est de te comparer qui te rend malheureux ?
- Possible.
- Cesse. Tu es unique bonhomme. Unique avec tes qualités, tes maladresses, tes insuffisances. Tu n'es ni pire ni mieux que ce que tu es. Tu es. Il n'y a qu'une seule chose que tu dois être au maximum, c'est être sincère. Continuer à faire ce que tu aimes faire, sans te soucier du reste. Car le reste mon ami ne dépend pas de toi.
- Oui, oui, je me le répète souvent. Mais c'est dur. Je suis si souvent rattrapé.
- Tu es capable. Je le sais. Tu peux lâcher. Lâcher vraiment. Tu as le droit de te reposer et de jouir de la vie. Tout simplement.
- Oui ?
- Oui.
- Là, aujourd'hui, je te crois. Je pense même que je suis d'accord. Je pense même que je pourrais presque y arriver sincèrement. Mais j'ai encore peur d'une sorte de renoncement, une sorte de lâcheté. Comme si j'abandonnais le champ de bataille.
- Tu te rends compte des termes que tu utilises. Tu as vraiment encore envie de faire couler du sang ? Le tien et celui des autres.
- Je ne sais pas. Je dois encore réfléchir.
- Il y a beaucoup de choses à désapprendre. ça met du temps. Prends-le ce temps. Le tout, c'est de se poser. Et de ne plus subir le mouvement, en s'illusionnant sur l'idée qu'on en est à l'origine.
- Ok. Vaste chantier encore.
- Yes sir !



Peut-être que j'y suis, peut-être.
ça cogne à la porte comme une rengaine.
Lâche, ça dit ! Lâche prise. Dessous, c'est le vide. Tomber, je veux dire complètement. Tomber pour ne plus tomber. Parce qu'il y avait toutes ces vérités servies, y'a plus qu'à se servir ; tous ces masques et tu vois, tu fais bien comme on t'a dit, comme maman t'a dit, comme voudrait papa, comme tous les gens qui te regardent, tu as vu, par la fenêtre dehors ; fais comme on t'a dit ; fais comme tu as compris que tu devais faire, marche sur la ligne et cesse de regarder les oiseaux comme ça, c'est agaçant !
Tomber, voler, voilà qui est intéressant, ne toucher terre, ni par la main, ni par le pied, et rigoler, je veux dire, rigoler vraiment, parce que c'est plus intéressant.
Pas possible dit la grande voix, pourquoi pas répond la petite. Pas possible, pas possible, pas possible. Accroche-toi, bats- toi, ne renonce pas, jamais, pense à ton grand-père et aux pères de tes pères ! Tu seras un homme mon fils, un homme avec un bureau et un compte en banque, un cancer peut-être aussi, plus tard, beaucoup de soucis et une importance que tu pourras montrer comme une carte de visite : c'est moi, je suis ce que j'ai accompli, ce gros château là-bas et je ne vois pas la marée qui monte.
Tomber, planer peut-être, voir tout d'en haut, si petit, si ridicule, planer pour le plaisir, sans destination ni frontière et saluer quelques oiseaux de passage.
La tentation est grande. Mais il faut être raisonnable n'est-ce pas. Il est temps de faire quelque chose de ma vie, un amalgame, un objet, un cadeau, quoi ? Le poser, le regarder, me masturber. Cool. Une image. C'est sans doute ceci, une image à regarder. Je suis cette image. Je suis cette personne. Enfermez-moi dans une cage et lancez-moi quelques cacahuètes. Je les grignoterai avec un verre de porto en arborant mon air important.

Il fallait arriver quelque part et là on aurait été bien, on aurait atteint le rivage et on aurait pu poser nos bagages. Il fallait dire : j'y suis arrivé. J'ai réussi. Je suis là où je voulais aller. Et maintenant se reposer en écoutant la mer. Mais je n'ai pas su arriver. Je manque de conviction pour arriver. Je ne dois pas trouver ça assez important tout ça. Je n'ai pas assez envie de jouer le jeu.

Il est temps de décider. Les phalanges encore crispées. Tout est possible. Et c'est vertigineux.