jeudi 12 mars 2009

Mon père ? Tiens, qui c'est ?
Connais pas. Who is my father ? Who are you dad ?
Mon géniteur.
Toi aussi, t'as bien morflé ! Toi aussi, t'as connu l'abandon. En pension à 6 ans. Tu revenais tous les 15 jours. Qu'est-ce qu'on peut bien avoir comme relation avec ses parents dans ces conditions ? Où est-ce que tu as bien pu aller chercher de l'amour et de la tendresse ? Et ma grand-mère, que je n'ai pas connue, à ce qu'il paraît, n'en donnait pas beaucoup. Alors, je sais, tu n'étais pas le seul dans ce cas-là à cette époque. Mais ça n'adoucit en rien ton sort. Et quand tu as eu 12 ans, ta mère est morte. Rupture d'anévrisme en plein repas familial : "j'ai mal à la tête !" et au-revoir la compagnie, pour moi, c'est terminé ! ça calme. Et mon frère qui opère les ruptures d'anévrisme. Comme c'est marrant ! C'est gentil de vouloir ressusciter grand-maman pour que papa ne soit pas triste. Mais je crois bien qu'il était triste avant.
Et puis tu dois te farcir mon grand-père, un papa bien encombrant. Forte personnalité. Entrepreneur. Intelligent. Cultivé. Atypique. Original. Provocateur. Séducteur. Attachant. Cassant à ses heures. Charmeur à d'autres. Volontaire à l'extrême. "quand on veut on peut", "il faut manger de tout et jusqu'au bout", tu nous les as bien rabâché ces refrains quand nous étions enfants. Il faut trouver sa place avec un papa qui fait sa star et qui occupe tout l'espace. Ni toi ni aucun de tes frères et soeurs n'a réussi à la trouver. Effacés. Dans l'ombre du Grand Homme. Le Grand Homme qui écrivait sa légende au prix de votre mise à l'écart. Tous tes frères sont allés chercher une femme autoritaire pour continuer à vivre sous une coupe, afin de ne pas rompre avec le système nourricier.
Tu n'as pas fait exception à la règle.
Mais tu avais un deuxième handicap. Tu n'étais pas très doué à l'école. Bien sûr, c'est relatif. Mais dans ce milieu de la haute bourgeoisie, moyen, ça veut dire que tu allais hériter de la ferme. Tu l'as intégré très tôt. Tu t'es même arrangé pour ne pas avoir ton bac. ça ne t'as pas empêché de réussir ton diplôme d'ingénieur agronome. Mais le mal était fait. Tu t'es sans doute auto-persuadé que tu étais bête. Et ta femme a fini le travail.
Alors bête, tu l'es devenu. Parce que c'est comme ça que ça marche. Sans stimuli, le cerveau ne va pas plus loin que là où on lui dit d'aller. Tu n'avais peut-être pas des dispositions extraordinaires, mais tu aurais pu les utiliser mieux je pense.
Par bonheur, tu étais (tu es toujours) beau. Alors tu t'es servi de ça. On se sert de ce qu'on a. Tu étais le beau gosse. Le charmeur. Tu as réussi à te faire aimer avec ça. Et tu y as ajouté, outre ton excellente éducation, des trucs qui te faisaient encore plus aimer par les autres : la gentillesse, la générosité, la serviabilité, l'affabilité, un caractère accomodant et une sociabilité à toute épreuve. Et même si tout ça finalement était assez superficiel, même si on ne t'aimait pas vraiment, tu as fait semblant de t'en contenter. Résultat : aujourd'hui, à l'heure des bilans, beaucoup de gens t'aiment bien, mais tu n'as pas un seul véritable ami. C'est triste.
Donc, tu as été agriculteur, parce qu'il fallait bien quelqu'un pour reprendre la ferme. Et puis comment s'opposer à ton père ? Inconcevable. Tout simplement. Tu aurais aimé être journaliste ou médecin...enfin c'est ce que tu dis. Qui sait si tu as eu l'occasion de vraiment te poser la question ? Tu as tellement de réponses toutes faites, rabachées indéfiniment pour alimenter la conversation, pour boucher les trous, qui pourraient être béants sinon.
Tu as su toujours cultiver les apparences. Tu portes beau. Tu fais illusion. Tu es un acteur en somme. Et d'ailleurs tu répètes toujours le même texte. Tu rejoues les mêmes scènes sans changer une virgule, inlassablement. C'est la raison pour laquelle tu nous agaces parfois. Mais tu dois tenir ton rôle, c'est important, parce que sous le masque, qui y'a t'il ? Tu ne le sais probablement pas. Mais surtout tu dois redouter par-dessus tout de découvrir un immense vide : celui de tous tes désires reniés.
Il y a aussi la notion de devoir, élévée au plus haut avec tes enfants. Nous. Qui avons donné une sorte de sens à ta vie. Enfin tu comptais pour quelqu'un. Enfin tu avais une place. Une importance. Et ton dévouement était (et est toujours) sans limite. Nous ne pouvons pas mettre en doute le fait que tu veuilles notre bonheur et que tu veuilles le mieux pour nous. Ta bonne volonté sur ce point ne saurait être mise en question.
Aimer c'est une autre histoire. Une histoire embarrassante. Comment fait-on ?
Mais d'abord tu rencontres ta femme...ma mère.
Et ceci aussi est une autre histoire...

Et puisque je suis père moi aussi, je vais tâcher de l'être concrêtement et de nourrir ma progéniture.

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