lundi 30 mars 2009

Je parlais de l'humilité.
Chez les grecs de l'antiquité, le plus grand pêché, c'est l'ubris = la démesure, l'orgueil, l'ambition démesurée. J'ai été frappé par cette notion, adolescent, quand je l'ai croisée. Aujourd'hui il me semble que la société toute entière cultive l'ubris, pousse à l'ubris. Point de salut hors l'ubris. Et pouvoir d'achat. Et ça va un peu ensemble.
Je suis un individu de cette société. Je ne peux pas en faire abstraction.
Un mal-être peut avoir comme origine le fait, inconsciemment (et petit à petit de plus en plus consciemment) de vivre selon un schéma avec lequel je ne suis profondément pas d'accord.
Le message est : deviens le plus fort !
L'école est construite sur ce schéma. Tu travailles, tu as de bonnes notes, tu franchis les échelons. Tant mieux pour toi. Dans le sens inverse, C'EST DE TA FAUTE ! Tu devais travailler. Les règles étaient simples et simplement édictées. Donc, tu es puni pour ta paresse, ton incompétence, ton manque de talent, de facilité ou d'aide à la maison.
ça commence là et nous passons TOUS par cette formidable moulinette.
CONDITIONNÉS jusqu'à la moëlle !
Donc le message est : sois le plus fort ! Réussis ! Gagne de l'argent ! Fais-toi la meilleure place possible dans la société ! Aies une bonne situation !
= ETRE HEUREUX.
J'ai enregistré le message dans toutes les strates de mon cerveau.

Et donc, et là je m'aventure sur un terrain que je ne connais pas (va falloir que je me renseigne quand même), si je vis en adéquation avec le message, je peux m'autoriser à être heureux (oui, le bonheur serait une histoire d'autorisation plus que de circonstances) ; si, en revanche, "j'ai le malheur" de ne pas avoir réussi à atteindre les objectifs fixés par le message, la pression mentale va être énorme pour me convaincre que je ne peux pas être heureux.
Et, la société entière (ou presque) le confirmera.
Je suis ce que je dis que je suis.
Les politiques parlent par exemple du pouvoir d'achat comme si c'était un critère de bonheur. Alleluia !!
Il me faut une énergie mentale énorme pour nager à contre-courant. Et je sais que je serai particulièrement isolé. Et que la plupart des gens avec qui je partagerai des élements de ma vie voudront me faire revenir dans le droit chemin. Accepter la possibilité d'une alternative c'est aussi accepter l'effondrement de l'édifice de sa vie. C'est beaucoup trop dangereux. L'autre se trompe nécessairement.
A creuser...

lundi 23 mars 2009

- Qu'est-ce que tu penses vraiment de tout ça ?
- je suis un peu perdu. Je crois que la morale n'est jamais très loin.
- c'est-à-dire.
- c'est mal. C'est mal de "baiser".
-Est-ce que tu baises ?
- Non. Je n'y arrive plus. Je ne bande plus quand la situation se présente. Ou à peine. Pas assez en tout cas.
- parce que c'est "mal" ?
- Je ne sais pas. Peut-être. Et puis, ça ne m'excite plus. Plus comme avant je veux dire.
- Avant, il y avait le plaisir de la transgression. Parce que c'était "mal" justement ?
- Oui, peut-être. Sans doute.
- Donc, on peut imaginer que c'est l'inverse et que si ça ne t'excite plus, c'est parce que ce n'est plus aussi "mal" dans ta tête.
- Peut-être. Je ne sais plus bien. ça se mélange.
- et quand tu n'es pas dans un club ?
- c'est extrêmement rare...à cause des malentendus. Je ne veux pas y jouer. Mais mon dernier souvenir était...évident. Il y avait quelque chose d'évident et de beau. Nous faisions l'amour. Et je l'aimais à ma façon.
- Ce n'est donc pas le sexe qui est une mauvaise chose en soi.
- Non. Je suis dans une communion, dans un partage avec une personne que j'aime (encore une fois à ma façon, pas nécessairement pour un engagement sur le temps ou une promesse de couple). Mais c'est très rare comme je le disais. Donc je vais chercher ma dose dans les clubs.
- Et ce genre de moments "d'amour" n'arrivent pas dans les clubs.
- Je peux essayer de "jouer l'amour" pour ressentir quelque chose. Je triche avec moi, avec l'aide de l'alcool. Sauf encore, en de très rares occasions où je vis une sorte de complicité.
- Bon alors, qu'est-ce qui te dérange ? Le fait de ne pas bander ? Le fait de tricher avec toi pour y arriver.
- Les deux. Ne pas bander, c'est voir mon corps me trahir. J'ai envie de lui dire : franchement, ça n'est rien de plus qu'une branlette améliorée. Mais il ne semble pas d'accord avec ça. Il met une censure. Comme si, dès lors que je partage une intimité physique avec quelqu'un (quand je me branle, je suis tout seul), il faudrait une dimension sacrée. Ce n'est pas la sphère du cul qui est problématique, c'est l'absence de sacré. Je crois que je ne peux plus accéder au plaisir sans cette sorte d'humanité dans le sexe. Et donc, si je ne sens pas la personne avec qui je fais ça, si il n'y a pas un véritable échange, mon corps me laisse tomber. Débrouille-toi sans moi !
Et quand je triche, histoire de lui arracher une bout de satisfaction, après j'ai un peu un sale goût dans la bouche ; je ne suis pas très fier de moi. L'impression d'avoir obtenu mon plaisir avec des moyens pas très légaux.
- Bon, tout ça n'a pas grand-chose à voir avec la morale.
- En fait, souvent, en sortant de club, je me dis, bon, là, j'ai compris, j'arrête. Il m'arrive même de rêver à ce que je vais pouvoir faire en économisant cet argent (on fait ça parfois quand on arrête la clope). Et quand je me le dis, je suis presque sûr que je vais le faire. Souvent après une soirée désastreuse. Où j'ai été sommé de bander sans pouvoir m'exécuter. ça a quelque chose d'assez humiliant ! Je me dis : c'est bon, là, t'as compris. Tu es dans un endroit où on baise et toi, tu n'y arrives tout simplement pas. Donc, cet endroit n'est pas pour toi. C'est assez limpide. Et puis, j'y retourne toujours...un mois plus tard, quand le temps a estompé le souvenir. Et je m'en veux un peu mais pas trop. Et comme parfois, ce n'est pas aussi désastreux que la fois d'avant, je me rassure.
- Tu souffres de t'abandonner à une addiction qui ne te donne même pas de plaisir ou pas tellement, et en tout cas pas à chaque fois.
- Oui. Je trouve ça un peu stupide. Et pourtant je ne peux pas m'en empêcher. Comme si je voulais retrouver mon paradis perdu. Quand ça me procurait une excitation immense.
- à la hauteur de la transgression.
- oui.
- mais ce n'est plus interdit dans ta tête.
- c'est ça.
- alors tu vas aller chercher un autre truc qui lui est interdit.
- peut-être...
- Tu as arrêté de fumer ?
- Oui.
- C'était dur, mais ça a été possible.
- oui.
- ça ne te manque pas tant que ça aujourd'hui.
- C'est vrai.
- Et fumer était quelque chose qui te donnait davantage de déplaisir que de plaisir (je parle de plaisir réel et non le plaisir fantasmé).
- oui.
- ça y ressemble.
- Oui. Mais puis-je vivre sans sexe ?
- Est-ce que l'idée de l'obligation d'avoir des rapports sexuels (puisque c'est cela dont on parle) n'est pas justement une idée sociale ? ça ne veut pas dire que ce n'est pas difficile, mais la masturbation permet d'assouvir le besoin immédiat.
- On n'est pas en train de retomber dans un truc moral là ?
- On parle de plaisir réel, de plaisir qui fait du bien avant, pendant et après. Or, une addiction (et ça a bien l'air d'en être une) a un coût en matière de déplaisir. A tenter. Et en tirer les conclusions empriques : tu te sens mieux ou non.
- je vais réfléchir.
- En attendant, ne rajoute pas la flagellation au malaise. ça fait double peine, c'est un peu beaucoup. Toute addiction est difficile à repousser. Le premier pas est d'admettre que c'est une addiction.
- ok, c'est assez pour aujourd'hui.

dimanche 22 mars 2009


Je suis là pour regarder mes pensées en face.
Qui je suis ! Qu'est-ce que je donne à voir.
Obsédé sexuel. Oui. Jusqu'où ? Avoir ma dose. Dépendant de cette délivrance illusoire. Le moment où ça sort, le moment où ça gicle. Comme si derrière, c'était bon...ça pouvait calmer quelque chose. Jusqu'à ce que ça me lance de nouveau.
Je ne parle pas de quand je kiffe quelqu'un et que je fais l'amour, là il y a la grâce. C'est très rare. Mais ça m'est arrivé il y a peu. Je mets ça à part, complètement à part. Dans ces moments-là, ça n'a rien à voir avec un besoin. C'est juste de l'amour (je m'entends !)
Non je parle de la dépendance, celle qui m'entraîne dans les clubs. J'ai bien songé à arrêter mais je crois que c'est pire que la clope. Et pourquoi j'arrêterais je me dis. C'est quoi ? Des relents de morale. Je ne sais plus. Comme toute dépendance, ça me tient. J'ai besoin de ma dose. Même si au final parfois je ne bande pas. Même s'il m'arrive de me crasher. Parfois aussi, c'est bien. Je dépense tout le peu d'argent qui me reste là-dedans (c'est à dire assez peu au final). Et j'ai mauvaise conscience...un peu. Je me dis que cet argent serait sans doute mieux utilisé à offrir des vacances à mes filles. Mais je n'y crois pas vraiment, parce que j'ai besoin de ma dose...et quand t'as besoin de ta dose, le reste tu t'en fous un peu. T'y penses mais ça passe après. ça, c'est la vérité, aussi dérangeante qu'elle paraisse.
Testostéroné. Un mec seul avec son envie de niquer. Pas assez bourrin pour bander à chaque fois. Trop de cerveau. Et qui se cogne au final.
Mais rien ? Rien ? Même plus cette décrépitude ? Est-ce bien sérieux ?
Non, ça n'est pas sérieux. En tout cas, pas pour le moment.
Il y a tellement cette putain de morale qui rentre en jeu ! Cette putain d'éducation à base de censure sexuelle silencieuse.
Je ne peux pas en faire abstraction mais je ne peux pas non plus ignorer que, même sans la morale, mon corps et mon âme ne sont pas forcément très heureux de ce que je leur inflige.
Ah, bien sûr, je sais comment je peux être sauvé ! L'amour qui réconcilie tout dans un même espace.
En attendant ce jour, comme dirait Zongra...
Ne pas être vraiment d'accord avec ce que je fais pourtant, j'ai comme dans l'idée que ça ne me fait pas du bien.
Au point où j'en suis pourrais-je dire...
Il y a bien un truc. Choisir. Sentir. Quand les ondes sont les moins mauvaises. ça, je crois que je peux le faire...
Je fais ce que je peux.


Chaque jour me rapproche de l'humilité. J'ai cru par le passé que je pouvais avoir une forme de maîtrise sur ma vie. Que j'avais du pouvoir sur l'idée d'être heureux ou non.
Après tout, c'est notre seule consolation quand on est en vie d'essayer d'être heureux. J'y ai donc mis de l'énergie. J'ai fait des choix.
Aujourd'hui j'apprends l'humilité. "Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien" a dit Socrate. Quel immense conscience que de le savoir (ça c'est Sancho qui le dit) ! Encore faut-il l'éprouver. Je suis sur ce chemin.
Renoncer à l'idée d'être heureux est un renoncement qui s'apparente à la mort. Renoncer à l'espoir ressemble à une démission.
L'idée de faire bien pour moi ne me chatouille plus guère. Mais l'agonie est longue et douloureuse. Je me débats parfois. Je voudrais regoûter aux félicités perdues. Je voudrais replonger dans l'inconscience et les plaisirs immédiats. Je voudrais retrouver les élans puérils qui me faisaient prendre les murs et me révolter à la hauteur de ma douleur et de mon sentiment d'injustice.
Et puis, je l'avoue, j'ai peur de ce rien. Je me dis : rien, ce n'est pas possible. On ne peut pas rien faire...

On sonne à la porte.
To be continued....

samedi 21 mars 2009

Merde. J'essaie de me raccrocher aux branches et je me déchire l'abdomen. ça fait hurler mes tripes. Et je me traite d'imbécile ! Espérer pour se prendre une nouvelle droite dans la gueule. A un moment, il faut accepter la mort. Dire : je suis mort, je suis vraiment mort. Regarder mon cadavre et crier comme dans les films : NOOON ! Ben si, i'm so sorry. C'est pas possible, il était si. Il était tant. Il était. Ben voilà, t'as compris. Il était. Imparfait. Il n'est plus.
Mais alors, c'est méchamment long à passer une vie quand on est mort !

dimanche 15 mars 2009

Prenons l'idée simple que je suis 2. Moi 1 agit : Actor. Moi 2 est celui qui connaît ce qui fait du bien : Connaissor . Actor est un peu sourd. Connaissor lui balance un tas d'infos. Mais Connaissor a une toute petite voix. Et il y a un bruit épouvantable autour : tout plein de messages envoyés par Parents, Ecole, Plaisir Trompeur, Société, Culture, Religion, Ambition. Ils essaient tous de parler plus forts les uns que les autres. Alors, Actor agit. Il bouge ici, il bouge là, il fait ci, il fait ça, il se congratule et Toutes les Voix lui disent : c'est bien, tu as tout fait bien comme on t'avait dit.
Et Connaissor continue à chuchoter. Connaissor connaît précisément ce qu'Actor doit faire pour se sentir bien. Mais le pauvre avec sa petite voix, il n'arrive pas à se faire entendre. Actor ne se rend même pas compte qu'il existe, c'est dire !
Et Connaissor est bien malheureux ; souvent il pleure dans son coin, car il aime beaucoup Actor, puisque c'est lui-même. Et Actor continue à s'agiter en tous sens ; en tous sens parce que souvent les messages sont contradictoires. Parfois, il saisit un tout petit peu de ce que vient de dire Connaissor et il dit : qui a parlé ? ça a l'air bien ça, mais c'est trop simple, c'est trop évident, ce n'est pas possible et il retourne au milieu du vacarme. Parfois, sans s'en apercevoir, il vit exactement ce que ne cesse de lui répéter Connaissor et il se dit : c'est bon ça, je me sens drôlement bien là. Mais ça ne dure pas très longtemps. Parce que le vacarme recommence : les messages affluent de nouveau en tous sens. Et le voilà qui se re-précipite ici, là, non, plutôt par-là, ça y est je sais, non, en fait, ce serait plutôt par ici.
Et Connaissor re-pleure. Il lui dit : mais non, mais non, mais enfin, tu étais bien là, qu'est-ce que tu vas encore chercher ? Tu avais tout. Tu le sentais, non ? Reviens !
Et Actor chasse cette petite voix comme une mouche.
Et ça dure, ça dure...toujours la même chose. Avec quelques escales.
Alors Connaissor qui est en train de mourir de chagrin fait ce qu'il n'aurait jamais souhaité faire. Il aurait tellement souhaité qu'Actor trouve par lui-même. Mais Actor est trop fougueux, trop fier et trop stupide. Connaissor coupe l'arrivée d'énergie et l'arrivée de la Joie de Vivre d'Actor.
Parce que Connaissor est très malin. Il sait bien qu'en faisant ça, Actor ne pourra plus répondre à toutes les Voix. Que les Voix se fatigueront de prêcher dans le désert et qu'il y aura un peu de silence. Que l'agitation retombera. Et c'est exactement ce dont il a besoin pour se faire entendre. Alors, au début, Actor se sent très mal, il souffre et a peur, mais il commence à entendre Connaissor, oh tout doucement, de manière à peine perceptible...

jeudi 12 mars 2009

Mon père ? Tiens, qui c'est ?
Connais pas. Who is my father ? Who are you dad ?
Mon géniteur.
Toi aussi, t'as bien morflé ! Toi aussi, t'as connu l'abandon. En pension à 6 ans. Tu revenais tous les 15 jours. Qu'est-ce qu'on peut bien avoir comme relation avec ses parents dans ces conditions ? Où est-ce que tu as bien pu aller chercher de l'amour et de la tendresse ? Et ma grand-mère, que je n'ai pas connue, à ce qu'il paraît, n'en donnait pas beaucoup. Alors, je sais, tu n'étais pas le seul dans ce cas-là à cette époque. Mais ça n'adoucit en rien ton sort. Et quand tu as eu 12 ans, ta mère est morte. Rupture d'anévrisme en plein repas familial : "j'ai mal à la tête !" et au-revoir la compagnie, pour moi, c'est terminé ! ça calme. Et mon frère qui opère les ruptures d'anévrisme. Comme c'est marrant ! C'est gentil de vouloir ressusciter grand-maman pour que papa ne soit pas triste. Mais je crois bien qu'il était triste avant.
Et puis tu dois te farcir mon grand-père, un papa bien encombrant. Forte personnalité. Entrepreneur. Intelligent. Cultivé. Atypique. Original. Provocateur. Séducteur. Attachant. Cassant à ses heures. Charmeur à d'autres. Volontaire à l'extrême. "quand on veut on peut", "il faut manger de tout et jusqu'au bout", tu nous les as bien rabâché ces refrains quand nous étions enfants. Il faut trouver sa place avec un papa qui fait sa star et qui occupe tout l'espace. Ni toi ni aucun de tes frères et soeurs n'a réussi à la trouver. Effacés. Dans l'ombre du Grand Homme. Le Grand Homme qui écrivait sa légende au prix de votre mise à l'écart. Tous tes frères sont allés chercher une femme autoritaire pour continuer à vivre sous une coupe, afin de ne pas rompre avec le système nourricier.
Tu n'as pas fait exception à la règle.
Mais tu avais un deuxième handicap. Tu n'étais pas très doué à l'école. Bien sûr, c'est relatif. Mais dans ce milieu de la haute bourgeoisie, moyen, ça veut dire que tu allais hériter de la ferme. Tu l'as intégré très tôt. Tu t'es même arrangé pour ne pas avoir ton bac. ça ne t'as pas empêché de réussir ton diplôme d'ingénieur agronome. Mais le mal était fait. Tu t'es sans doute auto-persuadé que tu étais bête. Et ta femme a fini le travail.
Alors bête, tu l'es devenu. Parce que c'est comme ça que ça marche. Sans stimuli, le cerveau ne va pas plus loin que là où on lui dit d'aller. Tu n'avais peut-être pas des dispositions extraordinaires, mais tu aurais pu les utiliser mieux je pense.
Par bonheur, tu étais (tu es toujours) beau. Alors tu t'es servi de ça. On se sert de ce qu'on a. Tu étais le beau gosse. Le charmeur. Tu as réussi à te faire aimer avec ça. Et tu y as ajouté, outre ton excellente éducation, des trucs qui te faisaient encore plus aimer par les autres : la gentillesse, la générosité, la serviabilité, l'affabilité, un caractère accomodant et une sociabilité à toute épreuve. Et même si tout ça finalement était assez superficiel, même si on ne t'aimait pas vraiment, tu as fait semblant de t'en contenter. Résultat : aujourd'hui, à l'heure des bilans, beaucoup de gens t'aiment bien, mais tu n'as pas un seul véritable ami. C'est triste.
Donc, tu as été agriculteur, parce qu'il fallait bien quelqu'un pour reprendre la ferme. Et puis comment s'opposer à ton père ? Inconcevable. Tout simplement. Tu aurais aimé être journaliste ou médecin...enfin c'est ce que tu dis. Qui sait si tu as eu l'occasion de vraiment te poser la question ? Tu as tellement de réponses toutes faites, rabachées indéfiniment pour alimenter la conversation, pour boucher les trous, qui pourraient être béants sinon.
Tu as su toujours cultiver les apparences. Tu portes beau. Tu fais illusion. Tu es un acteur en somme. Et d'ailleurs tu répètes toujours le même texte. Tu rejoues les mêmes scènes sans changer une virgule, inlassablement. C'est la raison pour laquelle tu nous agaces parfois. Mais tu dois tenir ton rôle, c'est important, parce que sous le masque, qui y'a t'il ? Tu ne le sais probablement pas. Mais surtout tu dois redouter par-dessus tout de découvrir un immense vide : celui de tous tes désires reniés.
Il y a aussi la notion de devoir, élévée au plus haut avec tes enfants. Nous. Qui avons donné une sorte de sens à ta vie. Enfin tu comptais pour quelqu'un. Enfin tu avais une place. Une importance. Et ton dévouement était (et est toujours) sans limite. Nous ne pouvons pas mettre en doute le fait que tu veuilles notre bonheur et que tu veuilles le mieux pour nous. Ta bonne volonté sur ce point ne saurait être mise en question.
Aimer c'est une autre histoire. Une histoire embarrassante. Comment fait-on ?
Mais d'abord tu rencontres ta femme...ma mère.
Et ceci aussi est une autre histoire...

Et puisque je suis père moi aussi, je vais tâcher de l'être concrêtement et de nourrir ma progéniture.

lundi 9 mars 2009

- accepter que je suis "réduit" par la dépression. Pareil que la grippe.
- accepter que c'est bien une dépression.
- accepter la perte d'énergie.
- accepter la perte de l'envie.

le temps de la colère et de la révolte semble être passé.

- prendre ou non des médicaments. Pour l'instant non. J'en prendrai si je n'ai plus le choix. Je comparerais ce moment de "ne plus avoir le choix" à celui où on reprend sa respiration en apnée.
- essayer de ne pas me plaindre auprès de mes proches. De l'utilité de cet endroit...
- Accepter d'avoir peur. Peur que ce soit toujours ainsi. Que ma vie soit devenue une longue attente de la mort. Et donc d'une forme de délivrance. Ce serait terrible. Je vis dans l'espoir que ça s'arrête.
- ne pas culpabiliser de ne pas avoir de projet ni de volonté. Je sais à quel point je peux en avoir quand "c'est là". Si "ce n'est pas là", qu'est-ce que ma pauvre petite volonté peut bien y faire ? C'est comme de vouloir démarrer une voiture sans essence. Je vais essayer de ne pas me ridiculiser à tourner la clé sans cesse.
- continuer à chercher (comme Oedipe) quitte à découvrir d'effroyables vérités. Je n'ai plus que ça : la quête de la vérité. Ne pas avoir peur de regarder toutes les réalités en face. Je ne dois pas tomber dans l'illusion que cela me rendra ma joie perdue. Mais puisque je suis encore vivant, puisque je suis dans le monde, je peux essayer de savoir mieux.
Le premier temps est de savoir d'où je viens. Ma mère et mon père. Depuis trop longtemps, je vis dans l'illusion de l'équilibre. Il y a bien les brèches. Les moments où nous plaisantons sur nos pathologies familiales. Mais l'humour sert de paravent. A- t'on le droit, sans craindre de voir l'édifice s'écrouler, de dire : ma mère est vraisemblablement malade psychiquement et mon père en a profité pour cultiver un masochisme qui ne demandait qu'à s'épanouir ?
Moi je ne me suis pas arrogé ce droit. J'ai préféré me bercer au rire et au sourire de ma mère. J'ai préféré garder en souvenir les ballades à ski de fond auprès d'un grand gaillard de père, heureux pour une fois...Et ma joie de vivre, mon enthousiasme, mon énergie, ma vitalité m'on toujours permis de repousser les assauts du désespoir. Ceux-ci disparus reste...le désespoir. Je ne vais pas faire semblant de croire que je suis surpris. Je le connais bien. Depuis longtemps. Je m'en étais confectionné un joli manteau romantique à la Werther. ça plaît à certaines filles !
Aujourd'hui ce n'est plus un manteau, c'est une chappe de plomb !
Donc, je regarde mes géniteurs. Une thèse circule selon laquelle on choisirait l'endroit où on naît. Parce que l'âme aurait certains trucs à travailler. L'idée c'est de bosser pour l'humanité toute entière dans un courant universelle historique. Nous serions tous les instruments du salut de l'humanité au cours des siècles. Et vu qu'elle trimballe son lot de saloperie l'humanité, y'a du boulot.
Je reviens à mes moutons. Parce que pour l'instant, c'est la seule chose qui m'intéresse. Pourquoi aurais-je choisi ces deux-là, et surtout ces deux-là ensemble ?
Partons de ce que j'ai reçu, disons, en cadeau ; il y a le respect, la politesse, le souci de l'autre, la joie de vivre, la capacité à s'émerveiller, l'ouverture d'esprit, le progressisme, la sensibilité au Beau, la gentillesse (mais je me méfie de cette notion...tellement traître). Merci papa et maman.
Maintenant voyons ce qu'ils me permetterait de bosser (douloureusement) : là, faut revenir au début. Le fameux schéma. Garçon. Le 3ème enfant. Milieu bourgeois. Père agriculteur. Mère mariée très jeune (18 ans ça calme). Premier enfant à 19 ans (ça re-calme). Née dans un joli manoir en Normandie de parents bourgeois traditionnalistes, catholiques intégristes. Déjà, le fait de l'écrire, c'est une manière de ne plus me le dissimuler davantage (même si ça fait mal). Ils ont beaucoup aimé ma mère. Mais on l'a quand même envoyée chez ses cousines pendant deux ans à une centaine de kilomètres, à l'âge de 8 ans, pour une raison que je n'ai pas retenue (mais qui dans mon souvenir ne semblait pas valable). Elle ne voyait presque plus ses parents. A 17 ans, elle fait une dépression nerveuse. Manque tout juste d'être internée. Et à 18, elle se marie. Mon père m'en a reparlé l'autre jour, comme "ultime argument". Manière de dire que tout était dit. Ma grand-mère : figure autoritaire à l'ancienne. Dans le devoir jusqu'au cou. Rigide à se casser tout le temps le genou et à crouler sous les maux de dos. Elle aime ma mère plus que tous ses autres enfants. Ce lien d'amour permet aux névroses de mieux passer. Dommage. Le mieux est l'ennemi du bien. L'amour peut véhiculer de la merde à un point inimaginable.
Pour ma grand-mère, il n'y a qu'une Vérité. Celle de l'Eglise. Celle de la Loi de l'Eglise (mais à l'ancienne). Hors la loi, point de salut. Jusqu'à se couper de ceux qu'on aime. Sens du sacrifice. Je n'arrive pas à savoir si elle est parfaitement sincère ou si elle s'est auto-suggestionnée au point de croire à ce système qui doit bien l'arranger et surtout qui la protège de tout questionnement trop embarrassant (par rapport aux violences qu'elle-même a dû subir enfant). Notre imagination est sans limite quand il s'agit de sauver notre peau. Alors l'Eglise catholique ou l'Islam c'est pratique. Tout est dit. Y'a qu'à suivre les instructions. Plus aucune initiative personnelle. Disparu l'atroce obligation du choix ! Y'a plus qu'à se réferer au Manuel. Exemple : je ne reçois pas mon petit-fils, la femme qu'il aime et ses enfants si ils ne sont pas mariés. Et ce qu'il y a de pratique, c'est qu'il n'y a pas à discuter, c'est dans le Manuel ! Et en plus, ce qu'il y a de génial avec ça, c'est qu'on est absolument pas responsable de ses actes. C'est pas moi, c'est le Manuel ! J'ai toujours eu un problème avec l' intelligence de ma grand-mère. Je me suis dit qu'elle était trop intelligente pour adopter une position aussi stupide. J'ai compris à présent qu'il s'agit de protection inconsciente. Mon grand-père s'est fait entraîné dans le mouvement avec délice, parce que lui était vraiment limité. Et fou amoureux de ma grand-mère. Qui a pris le pouvoir petit à petit sur lui.
Revenons à ma mère. Pris dans un mouvement contraire très tôt, d'un côté : je sens qu'il y a quelque chose de pourri et de l'autre : j'aime ma mère donc je lui obéis aveuglement, elle a pété un câble. Sa soeur cadette, trop limitée intellectuellement a reproduit le schéma à l'identique, comme un vaillant petit soldat. Elle n'a de cesse de montrer à ma grand-mère à quel point elle fait bien, hein maman, t'as vu ? Je fais tout comme toi, regarde comme je suis bien ; mais ma grand-mère ne regarde et n'aime que ma mère, la méchante, la vilaine, la rebelle, celle qui déçoit et fait de la peine à tout le monde. Donc ma tante déteste cordialement ma mère. Et ne comprend pas. Pauvre Catherine !
Voilà donc ma mère entraînée trop tôt dans sa vie d'adulte. Quelle personnalité a germé sur ce terreau ? Mélange d'amour puissant, d'admiration, de contrainte impitoyable (pour le bien des enfants), de dureté (séparation à 8 ans). Quelle cuisine l'enfant qu'était ma mère a bien pu confectionner pour se frayer un chemin dans la vie, pour se fabriquer une cohérence de bric et de broc ? Je sais aujourd'hui que le cocktail a donné quelque chose de violent, non maîtrisé et que ça a rejailli sur nous, ses enfants.
Mais ceci est une autre histoire et je suis fatigué.

lundi 2 mars 2009

séance 2

- Je ne sais pas qui est ma mère ?
- qu'est-ce que tu dirais en premier.
- Une femme qui traite mal mon père. Mon père rouspète.
Mon instinct de justice se réveille. Je ne dis rien...ou presque. Parce que je l'aime. Donc je l'excuse. Serais-je complice ? Merde.
- Qu'est-ce que tu dirais si tu t'exprimais vraiment ?
- pourquoi tu le traites comme ça ? Devant témoins en plus. C'est très humiliant.
- Tu aimerais que ton père réagisse.
- A un point que tu n'imagines pas.
- Tu aimerais réagir à sa place ?
- J'adorerais.
- Qu'est-ce que tu dirais ?
- Ferme ta gueule sale pute !
- Plus sérieusement ?
- Je t'emmerde. Va te faire foutre !
- Ces scènes où ton père se fait humilier par ta mère sont désagréables.
- Extrêmement. D'autant qu'elle s'arrange toujours pour essayer de convaincre qu'elle a raison de le traiter ainsi. Que si il avait fait plus attention, que s'il était plus ça et moins ça, elle ne serait pas obligée, que pourtant ce n'est pas faute de lui avoir répété...mais c'est toujours de la rhétorique pour cacher la forêt : de la maltraitance pure et simple.
- Tu es en colère contre quoi et qui ?
- Je suis en colère contre ma mère de se conduire ainsi. En colère contre mon père de ne pas réagir. En colère contre moi de n'avoir pas su intervenir depuis que je suis tout petit pour empêcher ça.
- Est-ce que c'est à toi de le faire ?
- Non, je sais bien que non, mais ça veut dire "se désolidariser".
- Pourquoi pas.
- Je ne sais même plus si je les aime. Je veux dire : j'aime ma mère, mais c'est un amour bizarre, tout tordu. Et mon père je le méprise. Ce n'est pas de me dire que je les aime, comme je le fais depuis toujours, qui va me faire les aimer réellement.
- Est-ce que tu peux leur pardonner ?
- Je ne sais pas. Déjà, j'accepte l'idée absolument transgressive que peut-être je ne les aime pas autant que je le devrais.
- Ou peut-être les aimes-tu trop ?
- Ma mère, c'est carrément incestuelle. Donc tout pourri. En se confiant à moi, en me donnant le rôle qu'aurait dû occuper mon père, elle m'a persuadé que je devais la sauver de ce mari "pas à la hauteur" et détruit l'image du père. Si ça, ça pue pas !
Et mon père, j'ai cherché son approbation (son amour), mais ça, on est nombreux dans ce cas-là ! Et en même temps, je l'ai souvent méprisé et j'ai souvent abondé dans le sens de ma mère (qui fait un travail de sape régulier avec ses insinuations perfides).
Je soupçonne d'ailleurs de plus en plus sérieusement ma mère de faire partie de la dangereuse famille des manipulateurs (révélation impossible évidemment...)
- Qu'envisages-tu sérieusement ?
- Prendre davantage de distances avec ma mère. Défusionner (pas dans le dico mais pratique comme mot !) Me protéger. Cesser d'imaginer qu'une mère fait nécessairement du bien à son enfant consciemment ou inconsciemment. ça paraît évident mais quand c'est ta propre mère, ça l'est moins.
- Tu n'es pas en train de délirer ?
- Je ne crois pas. Trop de signaux. Même si la plupart du temps je ne veux pas voir. Trop douloureux. Il va sans doute falloir que je fasse un effort de mémoire. Moi qui oublie tout...
- Fais attention aux schémas plaqués et aux interprétations hâtives.
- Je sais. Pour l'instant, il y a beaucoup d'intuitif, de ressenti. Mais je suis prêt à remuer la merde. De toutes façons, je n'ai pas le choix. ça risque de puer mais au moins ce sera pour les bonnes raisons.