samedi 29 novembre 2008

A rebours

Le sens contraire. Là où tout dérape. Là où ça commence à devenir intéressant.
C’est bien ça que j’ai envie de raconter.
Alors si je vous raconte une balle dans le ventre. Ça pisse le sang et ça ressemble à une mort dégueulasse, vous vous dites : chouettte. !
Mais ça c’est après, c’est plus tard. C’est quand je serai mort.
Y’avait plus à se demander pourquoi, y’avait plus à se triturer les méninges, à se dire : « c’est bien » ou « c’est pas ça ». Juste à se laisser glisser…dans des draps tout propres, tout blancs, immaculés de mon sang qui pissait.
Avant bien avant, j’étais moi aussi tout propre, avec tout ce qui fallait d’éléments positifs de vie, bagnole comprise. En route vers une existence bien remplie. Et croyez-moi, si il y a bien quelque chose de bandant, c’est de se dire à sa mort : « j’ai eu une vie bien remplie…une vie de con mais une vie bien remplie. » J’ai tout cassé. Je me suis cassé. Et là sur mon bithume, croyez-le ou pas, je bande.
C’était un dimanche, c’est toujours un dimanche, devant la télé. Ça parlait, j’écoutais pas. J’avais le bras de Muriel quelque part sur une partie de mon corps. Corentin dormait là-haut. Et demain lundi, j’avais une réunion à 10h30. Avant, j’irais à la machine à café, je prendrais un café au lait sucré mais pas trop, je parlerais avec Bruno qui me raconterait qu’il s’était pris la tête avec Emilie et que cette fois-ci il pensait vraiment que c’était la fin. J’irais jeter un coup d’œil sur le site de l’équipe voir ce que disait Angel Marcos de la prestation de Lyon. Et puis j’ouvrirais mon tableau Excel.
A la télé, ça parlait des élections, de ce qui est bon pour la France et les français. Il s’adressait « à tous les français ». Ouais, ce gars-là, il avait compris mes problèmes et il me tendait la main et il comptait sur moi pour relever la France avec tous les autres français présents devant leurs télés. Putain, on allait se relever les manches et on allait leur montrer aux autres pays à côté ce que c’était un pays, un vrai. Cool !
J’ai regardé Muriel. Ses petits seins sous sa chemise de nuit. Ça faisait un moment que je ne l’avais pas fait jouir. Ça faisait un moment qu’elle n’y mettait pas du sien. Un moment l’idée de la violer sur le canapé m’a traversé l’esprit mais j’étais trop fatigué.
Deux heures plus tard, j’allais me retrouver face à un flingue et crever.
Alors je me suis levé pour aller à la rencontre de mon destin. Mais où trouver un flingue pour arrêter tout ça dans le 18ème arrondissement ?
- où tu vas ?
- marcher.
- A cette heure ?
- Ouais.
- Mais pourquoi ?
- Parce que j’ai besoin.
- Y’a quelque chose qui va pas ?
« y’ a quelque chose qui ne va pas ? », c’est une question assez marrante. Mais je ne riais pas.
- non, tout va bien. J’ai juste envie d’aller marcher un peu.
- Tu rentres dans longtemps ?…parce que je sens que je vais t’attendre et ça va m’empêcher de dormir.
- Dans un quart d’heure, vingts minutes à tout casser.
Une heure après, elle allait appeler les flics.
40 minutes à s’inquiéter. Ça grimpe comme une petite contrariété : il est parti plus longtemps que prévu, je m’en doutais. Un peu plus tard, ça commence à démanger, on se met en colère pour ne pas reconnaître qu’on a peur : « quel salaud quand même, il sait bien que je l’attends. » et puis tout à coup, on passe de l’autre côté, il doit y avoir un moment précis pour ça, il faudrait calculer au bout de combien de temps : « il lui est arrivé quelque chose ». Et là, ça devient du délire, tout y passe : agression, accident, fugue (le moins grave), tout ça en images bien sûr.
Tu vois Muriel, à l’heure de crever là, avec toutes ces sirènes autour de moi, je repense à ton cul. T’as un putain de très beau cul. Et si y’a une chose que je regrette vraiment, c’est de ne pas t’avoir sodomisée. J’aurais pas eu le cran de te demander.
J’ai marché. J’ai cherché un regard de femme. Une vicieuse. Y’en a parfois. Je suis monté en haut du côté de Lamarck. Redescendu. Bu une bière chez Camille. Toujours pas de vicieuse.
J’ai vu la voiture des flics en face de moi. Et ça m’a pris. J’ai fait demi-tour et j’ai couru. Putain c’était bon de sentir mes jambes. J’ai couru comme dans un film comme si j’étais un criminel. J’ai pris les escaliers. Je me suis retrouvé devant le « rendez-vous des amis ». Une autre bagnole de flics attendait déjà. Les flics sont sortis quand ils m’ont vu. J’ai eu peur. Putain c’était bon. J’ai tourné à droite. Ils m’ont coursé. J’entendais leurs pas. Je m’attendais à sentir une balle dans mon dos. Comme quelqu’un qui te tape l’épaule pour que tu te retournes. Pourquoi ils disaient rien, un truc comme : « police, arrêtez ! » Rue André dell’sarte. Nouvelle bagnole de flics. Crissements de pneus. Est-ce que j’avais vraiment envie de mourir. Non pas vraiment. En tout cas pas précisément maintenant.
La première balle m’a tapé dans le ventre. Ils avaient dit « Police, arrêtez vous » eux ; mais je crois bien que je n’avais pas réagi. Je devais penser à autre chose. Ça fait très bizarre une balle dans le ventre. Quand je raconterai ça à Bruno. Ce qui se rapproche le plus je crois c’est un coup de batte de base ball qui te coupe le souffle.
La police a appelé Muriel et ils ont dit « on a retrouvé votre mari ». Elle a poussé un soupir de soulagement.


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