samedi 21 février 2009

Quand j'étais petit garçon là là là


Je suis un bébé. On me sollicite. Je réponds. Je me rends aimable pour qu'on s'occupe de moi. Je souris, afin de recevoir ma nourriture affective et ma nourriture tout court. Et puis je gueule quand je n'ai pas ce que je veux. Basique. Efficace. Vital. Et puis, voilà que les adultes qui m'entourent veulent m'apprendre des trucs.
"Paaapa", "maaaman". "maaaman", "paaapa".
Je regarde, j'écoute. Je comprends pas trop ce qu'ils veulent et au bout du 458 ème "paaapa", je pige : et je mime, parce que c'est tout ce que je sais faire pour l'instant : mimer.
Je me lance "apa". Et là c'est l'extase, la fête, l'enthousiasme à son paroxysme : il a dit papa ! J'ai pas dit "papa", j'ai dit "apa", il est con ou quoi ? Mais en même temps, je viens d'éprouver qu'en imitant les adultes autour de moi, ils étaient comme des fous et qu'ils m'aimaient encore plus, qu'ils me filaient encore plus de nourriture affective, à base de bisous, de calins, de sourires et de "il est mignon". Cool la vie !
Et puis, je les imite en tout. J'absorbe, éponge que je suis. Et quand le canal de transmission est l'amour, je m'efforce de bien imiter pour recevoir ma dose d'amour, comme les phoques en spectacle en échange de leurs doses de sardines.
Et dès que je sais marcher, je pars à la découverte de l'univers qui m'entoure. Et je suis vierge. Je ne sais rien. Pourquoi tu crois que les Puissants ont envie d'aller dans les étoiles et dépensent tout leur pognon et leur énergie ? Pour retrouver ce méga-pied.
Ouaaah, une table ! Ouaaaah ! un mur ! Ouaaaaaaaaah un truc noir qui bouge dans l'air. "Mouche" me dit celui que j'ai compris être "paaapa". Je répète "Mousshe". C'est le méga-pied. Le grand orgasme. Et ça recommence chaque jour. Je n'ai pas assez de mes deux yeux et de mes deux oreilles pour tout absorber. Je peux rester un temps fou en contemplation devant une fleur ou même simplement mon pied. Car, et c'est là le miracle, le temps n'existe pas. ça, c'est beau, hein ?! Pas de passé, pas d'avenir. Seulement le présent. Seulement le "c'est bon" ou "c'est pas bon". Voilà mon seul guide. Je peux passer à autre chose en un instant, sous le seul prétexte que ça se présente à moi. Et je dors "comme un bébé". Très rares sont les bébés qui font des insomnies !
Mais les adultes viennent très vite me faire chier, mais me faire chier, t'as pas idée ! Au début, je les aimais bien, ces pourvoyeurs de nourriture, mais là, c'est simple, ils passent leur temps à me dire : "non, ne touche pas à ça !", "attention", "arrête", "je t'ai déjà dit que c'était interdit". Interdit ? Comprends pas. Et là tu comprends ? Putain, elle m'a tapé. Aïe. ça fait mal. Elle est conne ou quoi ? Je pleure pour lui montrer que ça fait mal et que ça se fait pas ! Bon, ça doit être un malentendu. Le lendemain, j'ai oublié (ben, oui, vous savez moi le temps...) et re-belotte le truc interdit. Re-tape ! Re-Aïe ! Re-pleurs. Re-"mais elle est tarée ou quoi ?" Comme je n'aime pas avoir mal, je deviens intelligent. Je fais une association subtile entre "truc interdit" et douleur. Welcome Pavlov ! Bienvenue dans le monde merveilleux des adultes. Donc, je me soumets à un truc que je ne comprends pas. Je suis un peu contrarié certes. Ce n'est que le début, je n'ai encore rien vu ! On va m'apprendre à marcher droit à coups de Pavlov, tellement que je vais finir par trouver ça normal. Il y a bien les rebelles. Les "qui veulent qu'on leur explique". Qui trouvent ça injuste. Ceux-là, ils se font mater un peu plus.
Donc, comme je dois m'adapter au monde des adultes et non l'inverse, j'assimile toutes les règles par crainte de la douleur. ça s'appelle l'éducation. ça paraît un peu hard comme ça, mais le chien de la fable (dans le loup et le chien), en faisant ce qu'on lui dit, en se tenant à carreaux, il est méga-peinard ! Arrête de résister, t'es con ou quoi ? Plus tu résistes, plus tu souffres. Fais donc ce qu'on te dit. Essaie pas de comprendre. Adapte-toi. De toutes façons, tu n'es pas en âge de comprendre.

Les psychologues ont mis en évidence le fameux âge du "non". Tu m'étonnes ! Ainsi que la nécessité des règles pour la construction de la personne. Dans quelle culture ? Dans quelle civilisation ? Les psychologues étudient-ils suffisamment la sociologie, l'ethnologie et l'histoire ? (je suis mal placé pour dire ça, mais je vais aller me renseigner promis, là, c'est juste de l'ordre de l'intuition...)

En effet, voyant ma liberté et mon horizon se rétrécirent dangereusement, avec ma petite voix et du haut de mes 80 cm, je proclame haut et fort : "non !" "tu m'emmerdes !" "va te faire foutre !" "je cèderai pas" "et pourquoi d'abord je devrais cesser de jouer ?"
Quelques torgnoles plus tard, menaces et haussements de ton, je dis : "ok, ça va pour cette fois, mais n'y reviens pas !" Quelques mois plus tard, je dis :"mais bien sûr papa, j'arrête de jouer pour aller voir ces gens que je ne connais pas et dont je n'ai que foutre." "mais bien sûr je vais docilement aller au lit, alors que je ne suis pas du tout, mais pas du tout fatigué", "mais bien sûr, je vais finir toute mon assiette, alors que c'est dégueulasse, que ça pue et que je n'ai plus faim du tout" toutes ces règles d'ailleurs que vous ne vous appliquez pas à vous-mêmes ; non non, mais j'ai compris, c'est pour mon bien (je risque de l'entendre encore souvent cette phrase, elle est pratique !)
Le conditionnement est en marche. Relayé par l'école. Relayé par la télévision. Relayé par toutes les structures de la société.

Et là se pose le concept du choix, de ma liberté, de ma marge de manoeuvre. Mais c'est une autre histoire. Il faut éteindre maintenant. Parce qu'il faut dormir. Parce que demain le réveil va sonner, alors qu'il ne fera même pas encore jour... Parce que tu dois aller travailler. Parce que la Machine a faim...

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